Les violences gynécologiques et obstétricales (5/6) : la grossesse et accouchement
violences gynécologiques
Dans l’imaginaire collectif, la grossesse est un moment béni de la vie d’une femme, et l’accouchement un moment fatiguant mais qui mène à l’épanouissement tant attendu qu’est la maternité (car enfin, quelle femme oserait ne pas s’épanouir dans la maternité ?!). Pourtant c’est, médicalement parlant, un des moments où la femme est la moins considérée.
Tout d’abord, même s’il peut paraître bizarre de mettre cela dans cette section, il y a la fausse couche. A sa manière, c’est un sujet très tabou. Pourtant extrêmement fréquent (200 000 cas par an en France, soient 20% des grossesses ; plus d’un quart des femmes sont concernées), on en parle trop peu, surtout après. Les couples s’entendront dire qu’ils sont jeunes, et qu’ils ont tout le temps pour en avoir un nouveau. Peu de personnes s’intéressent au ressenti du père, personne ou presque ne se soucie du père. Les médecins, qui en voient tous les jours, manquent parfois cruellement de compassion 1, parlent de tel médicament ou tel acte pour « évacuer tout ça ». Quels parents voudraient entendre parler ainsi de leur bébé mort pendant la grossesse ?
Pour les actes suivants, j’essaierai de les détailler dans l’ordre dans lequel il peuvent arriver.
Le déclenchement : en France, on déclenche les accouchements entre 41 et 42 semaines d’aménorrhée (ce sont les dernières règles). Ce chiffre n’est pas à prendre comme une science exacte : la femme pouvait ne pas se souvenir exactement de la date de ses dernières règles, son corps peut être plus ou moins prêt à accoucher. En Europe, certains pays déclenchent les accouchements plus tard. Le gros problème des déclenchements, c’est que les femmes ne sont pas toujours prévenues. Les moyens les plus courants sont : les prostaglandines (substance liquide ou solide qui actionne les contractions), le décollement/la rupture des membranes (en insérant un doigt au niveau du col de l’utérus), et l’ocytosine (hormone naturellement sécrétée lors de l’accouchement, qu’on injecte en intraveineuse). Il existe des médecins qui déclenchent les accouchements car cela les arrange (parce qu’ils partent en vacances par exemple). Il y a ceux qui en ont l’habitude. Il y a ceux qui craignent que le bébé ne soit trop gros, mais sans faire d’examen complémentaire. Et le pire est qu’il déclenchent parfois l’accouchement « par surprise », on peut lire de nombreux témoignages de femmes qui lors d’un contrôle de fin de grossesse ont tout à coup ressenti une intense douleur : le médecin leur avait percé les membranes sans les en informer ! Or, je rappelle la loi dite Kouchener (L1111-4 du Code de la Santé Publique) : « Aucun acte médical ni aucun traitement ne peut être pratiqué sans le consentement libre et éclairé de la personne et ce consentement peut être retiré à tout moment. »
L’ocytosine est une hormone qu’il faut manier avec précaution, car elle peut déclencher des contractions très violentes et douloureuses lorsqu’elle est sur-dosée. Elle peut être utilisée pour déclencher l’accouchement, mais aussi pour l’accélérer. Il faut savoir que les médecins ont pour leitmotiv « le col doit s’ouvrir d’un centimètre par heure ». Or ce n’est pas nécessairement le cas ! En particulier les premiers accouchements peuvent prendre bien plus de temps. Pourtant, si une femme ne suit pas la sacro-sainte règle des 1cm/h, on risque de lui injecter de l’ocytosine, ou même du Cytotec. Ce dernier est un médicament qui n’a jamais été conçu pour l’accouchement au départ, mais on s’est par la suite rendu compte qu’il déclenchait de violentes contractions de l’utérus. Or, ce médicament est très compliqué à doser : il ne faut pas utiliser plus d’un huitième de comprimé à la fois, et le comprimé fait moins de 1cm 2… Pas étonnant que le dosage soit pour le moins hasardeux. Et un sur-dosage peut être dramatique : l’utérus, en se contractant, empêche les poumons du bébé de se vider lentement comme c’est censé être le cas généralement. La femme s’épuise (physiquement, et à cause de la douleur très forte), elle n’arrive plus à pousser correctement. Les souffrances endurées deviennent beaucoup trop fortes. Alors, elle a besoin d’un antidouleur.
La péridurale est une anesthésie faite dans le bas du dos, via un cathéter. Très fréquente en France et aux Etats-Unis (plus de 70% 3 des accouchements), elle est bien plus rare aux Pays-Bas ou au Danemark (moins de 5% des cas). La péridurale peut être merveilleuse si elle est souhaitée, et bien posée : elle diminuera effectivement la douleur, et permettra un accouchement moins dur physiquement. Mais elle peut être mal posée, ou faire partiellement ou pas du tout effet : ça arrive dans 15% à 20% des cas. On peut lire sur internet un nombre incalculable de témoignages de femmes pour lesquelles la péridurale a mal marché, mais desquelles l’anesthésiste ne se souciait pas : beaucoup se sont vues reprocher un mensonge, car « la péridurale est bien posée, je le vois ». Lors de l’accouchement, le manque d’écoute de la part du personnel soignant est très souvent reproché. En cause : des hôpitaux surchargés, un personnel en sous-effectif, mais aussi une habitude ancrée de minimiser les souffrances des femmes. Nous sommes connues pour être douillettes, et infantilisées : infantilisées par le personnel médical qui voit souvent d’un mauvais œil les femmes qui veulent accoucher sans péridurale, et infantilisé par lui lorsqu’on indique que la péridurale est mal posée/ne fait pas effet. Un des effets secondaires de la péridurale est qu’elle peut rendre le fait de pousser bien plus dur. Alors toujours pressé par le temps, les médecins et sages-femmes veulent accélérer les choses.
L’expression abdominale est le fait de presser fort sur le ventre, pour faire sortir le bébé. Cette technique est très dangereuse, voilà pourquoi en quelques mots : s’il est possible de compresser un gaz, c’est pourtant très compliqué avec un liquide. Aussi, lorsqu’on appuie sur le ventre rempli de liquide amniotique, celui-ci ne se compresse pas, mais ce sont les organes alentours qui prennent. Les conséquences pour la mère peuvent être dramatiques (là aussi, de nombreux témoignages sont disponibles sur internet 4). Alors qu’une femme sur cinq affirme qu’on lui a fait subir une expression abdominale lors de son accouchement, la Haute Autorité à la Santé (HAS) déclare que cet acte est à proscrire. Israël Nisand (président du CNGOF) a déclaré « L’expression abdominale n’a plus lieu. Si elle a lieu, c’est une faute technique et une faute professionnelle grave. Si vous connaissez un seul gynécologue qui a pratiqué l’expression abdominale, je l’appellerai personnellement pour lui dire de ne plus le faire. Mais vous serez en échec, Madame, car vous n’en trouverez pas. » 5 A la suite de cette phrase, plus de 500 médecins ont été dénoncés pour avoir pratiqué ce geste. Heureusement, les chiffres commencent à baisser, mais le fait que ce geste ne soit jamais avoué, jamais écrit dans les dossiers médicaux, le rend compliqué à dénoncer.
L’épisiotomie est une coupure du périnée et des chairs à partir du vagin, accomplie dans le but d’éviter « toute déchirure grave ». En France, son taux est de 30%, quand l’OMS recommande… 10% maximum (on atteint près de 50% lors d’un premier accouchement). Il a été reconnu que dans la majorité des cas, l’épisiotomie est inutile. En effet : prenez un morceau de scotch, et essayez d’en déchirer un bout. Pas si facile n’est-ce pas ? Maintenant, faites une petite incision, et tirez : vous verrez qu’il sera bien plus facile de le déchirer. On comprend pourquoi l’épisiotomie est si peu recommandable. A Besançon, le taux d’épisiotomie est passé sous la barre de 1%, alors que les déchirures mineures (ne nécessitant pas de point de suture) ont largement augmenté : elles ont remplacé l’épisiotomie. Un scandale a découlé de ces points de suture : le point du mari. En avez-vous entendu parler ? Il s’agit de faire un point en plus que ce qui aurait été nécessaire, pour refaire à la mère « un vagin de jeune fille ». Et par là même, augmenter sans doute le plaisir de son mari lors de rapports sexuels, sans se soucier de ce que cela peut faire à la femme. Autre scandale de l’épisiotomie : le consentement. On ne rappellera pas l’article L1111-4 du Code de la Santé Publique, mais il est absolument illégal de commettre un acte sans le consentement de la patiente. Or, dans 85% des cas, le consentement n’a pas été demandé 6 ! Certaines femmes rapprochent cet acte d’une mutilation sexuelle : en effet, elle peut rendre le retour à une vie sexuelle compliqué. Surtout si la suture a été mal faite (ou qu’il y a eu trop de points), ou encore si elle a été faite sans anesthésie 7. Or malheureusement, suite à un accouchement, on a tendance à penser que si le bébé va bien et la mère aussi, il n’y a pas lieu de se plaindre. Mais dans « aller bien », on ne considère pas les violences psychologiques qui ont pu être subies, ni même les sévices possibles aux organes génitaux : on fait tellement peu de cas de la sexualité féminine…
En France, plus de 20% des bébés naissent par césarienne. Pourtant, l’OMS recommande un taux maximal de 10% à 15%. Là encore, on peut lire de nombreux témoignages sur internet de femmes qui ne souhaitaient pas de césarienne, et dont la demande n’a pas été respectée (toujours en contradiction avec l’article L1111-4 du CSP). De plus, il est interdit aux femmes en travail de boire ou de manger. Pourtant, l’accouchement est un acte éminemment fatiguant, et parfois très long. La raison invoquée par les professionnels de la santé est qu’en cas d’anesthésie générale, il y a des risques d’étouffement. Or non seulement l’anesthésie général est rare (5,4% des césariennes), mais en plus, les médecins devraient être capables de savoir quand une femme accouche avec un risque minimal, ou au contraire s’il s’agit d’une patiente à risque. De plus, si l’on compare les taux de mortalité maternelle entre les pays autorisant presque tout le temps le fait de boire et de manger pendant l’accouchement, et ceux les refusant en majorité, ils sont identiques 8 ! Le fait de refuser quelque chose d’aussi nécessaire que boire et manger est une infantilisation révoltante des femmes, d’autant plus qu’elle est inutile. Le faible taux d’anesthésie générale, ainsi que les évolutions de la médecine (il y a plus de mortes dues à des difficultés d’intubation qu’à des régurgitations mortelles) permettent à chacune de ne pas s’inquiéter du danger de boire et manger pendant l’accouchement : reprenez des forces pendant cette épreuve, ne demandez pas cette humiliante permission.
Après tous ces actes médicaux (et d’autres dont je n’ai pas parlé, comme les touchers vaginaux à répétition – le plus souvent sans demande de consentement bien sûr, ou ce serait trop beau), après avoir été infantilisée et presque jamais écoutée, la mère doit rentrer chez elle, et après deux semaines maximum, elle sera seule toute la journée pour s’occuper de son enfant. On parle souvent du baby blues comme d’une chute d’hormones, qui va passer. Quelque chose de très féminin en sorte : une tristesse injustifiée, ingrate même de la part d’une femme qui vient d’avoir un enfant. Pourtant, après tout ce que vous venez de lire, qui sera très souvent perpétré sans consentement, qui peut engendrer des douleurs, un changement de vie profond de la vie, une grande fatigue, on est obligé de se dire qu’il y a plus, peut-être, qu’une déprime de bonne femme chochotte.
- https://egalimere.fr/2017/01/fausse-couche-trouver-du-soutien.html [return]
- http://www.doctissimo.fr/medicaments/news/Le-Cytotec-medicament-detourne-de-son-usage-retire-du-marche-en-2018 [return]
- https://fr.wikipedia.org/wiki/Anesth%C3%A9sie_p%C3%A9ridurale [return]
- https://ciane.net/wordpress/wp-content/uploads/2017/06/ExpressionAbdominale2017.pdf [return]
- http://www.elle.fr/Societe/Interviews/Violences-gynecologiques-selon-le-Pr-Israel-Nisand-les-femmes-devraient-davantage-porter-plainte-3494222 [return]
- https://ciane.net/wordpress/wp-content/uploads/2013/11/Enqu%C3%AAte-%C3%A9pisiotomie-Ciane-2013.pdf [return]
- https://www.irasf.org/2018/07/23/episiotomie-non-consentie-temoignage/ [return]
- http://spiralconnect.univ-lyon1.fr/spiral-files/download?mode=inline&data=1611702 [return]